La recherche participative a pour but d’intégrer les citoyens dans la production de connaissances et d’innovations, aux côtés des chercheurs. Très tôt en France, cette approche a suscité l’intérêt des associations de patients et des chercheurs dans le domaine de l’addiction et plus particulièrement de l’alcool.
Dans les années 2010, sous l’initiative de l’Inserm et supervisé par Bertrand Nalpas, le « groupe Alcool » voit le jour.
Pionnier de la recherche participative, le travail de ce groupe d’associations permet plusieurs publications scientifiques. Ensuite repris par Henri-Jean Aubin, le groupe conserve cette dynamique.
Les services de l’Inserm vont être réorganisés et le département Science et Société va être créé. Henri-Jean Aubin va alors poursuivre son activité en lien avec les associations au sein du réseau REUNIRA.
Un nouveau projet de recherche participative sur l’alcool
Fin 2023, sous l’impulsion d’Anne Lise Pitel, l’idée d’un nouveau projet de recherche participative a émergé face à la constatation que les méthodes actuelles d’investigation des patients à l’issue du sevrage d’alcool étaient très limitées et biaisées. En effet, l’objectif majeur du traitement (pharmacologique ou non) du trouble sévère de l’usage d’alcool est de permettre au patient d’arrêter ou réduire sa consommation d’alcool et de minimiser le risque de rechute, qu’elle en soit la définition. Une des approches est d’investiguer les facteurs de risque ou déterminants de la rechute, qu’ils soient de nature biologique, psychologique, sociale, ou spirituelle, afin d’identifier des cibles thérapeutiques. Le design classique des études est alors d’examiner les patients directement après le sevrage d’alcool et de proposer un suivi longitudinal pendant quelques mois afin de pouvoir a posteriori comparer les patients ayant reconsommé/rechuté à ceux étant parvenus à respecter leur contrat thérapeutique sur les mesures collectées pendant le sevrage.
Cette modalité méthodologique, bien que très largement utilisée, présente quatre principales limites. Premièrement, le focus est placé sur les facteurs contribuant à la rechute (i.e., approche par exploration des déficits et faiblesses), alors que les facteurs favorisant le maintien du contrat thérapeutique (i.e., approche par exploration des facteurs protecteurs et forces) ne sont que peu considérés. Deuxièmement, le suivi des cohortes en addictologie étant particulièrement complexe, les données sont généralement collectées chez un nombre très limité de personnes et sur de courtes périodes (usuellement au maximum 6 mois après la fin du sevrage), ce qui remet en question leur pertinence clinique dès lors que l’objectif thérapeutique a une perspective à long terme. Troisièmement, les approches sont rarement holistiques et abordent généralement des facteurs cliniques, psychosociaux ou cognitifs de manière isolée, sans proposer une approche plus globale, à même de comparer ces différents facteurs et de hiérarchiser leur rôle dans le processus de maintien du contrat thérapeutique. Quatrièmement, les facteurs de risque ou protecteurs sont généralement considérés uniquement lors de la situation initiale, alors même que d’autres facteurs peuvent émerger au cours du temps (comme par exemple les facteurs spirituels).
Dépasser les limites !
Afin de dépasser ces limites méthodologiques, la collaboration avec les personnes ayant réussi à maintenir leurs objectifs thérapeutiques sur le long terme, comme les membres des associations d’entraide constitue une orientation prometteuse. Cette population clinique est cependant très rarement étudiée en France. A contrario, la recherche en alcoologie aux Etats-Unis s’appuie sur ces réseaux de patients, ce qui a conduit à la génération de résultats scientifiques solides durant ces dernières décennies (p.ex. plus de 1600 publications recensées sur Pubmed ayant trait aux Alcooliques Anonymes, aucune de ces recherches n’ayant été conduite en France). Il apparaît donc que les associations d’entraide présentent une expertise avancée, à même de renouveler la connaissance des facteurs centraux déterminant le maintien à long terme des objectifs thérapeutiques, mais ces ressources ne sont actuellement pas exploitées dans notre pays.
Objectif et originalité
L’originalité principale de notre projet de recherche est donc de proposer un changement de paradigme en (1) considérant non plus les facteurs de risque de rechute mais les « facteurs de chance » ou favorisant le contrat thérapeutique ; (2) bénéficiant de la collaboration avec des associations d’entraide, pour sortir de la centration sur des populations de patients récemment sevrés. Nous chercherons donc à identifier, chez un grand nombre de sujets potentiellement abstinents depuis une longue période, les variables ayant permis l’arrêt de l’alcool et le maintien du contrat thérapeutique en adoptant une approche holistique multifactorielle.
Ce projet est en cours d’évaluation par le département Sciences et Société de l’Inserm pour l’attribution de fonds d’amorçage.
L’équipe de recherche
Des chercheurs aux compétences complémentaires contribueront à ce projet. Trois chercheurs en psychologie travaillant sur l’alcool mais avec des expertises différentes, permettant une perspective plus globale de cette problématique, seront impliqués : Jessica Mange (psychologie sociale, Caen), Pierre Maurage (psychologie et psychopathologie cognitive, Louvain La Neuve), et Anne Lise Pitel (neuropsychologie, Caen). Ils seront associés à Henri-Jean Aubin, qui a une double expertise (clinique et recherche) en addictologie.
Dans notre démarche de recherche participative, nous avons choisi de contacter les représentants des Alcooliques Anonymes (Marion Acquier, présidente des AA, https://alcooliques-anonymes.fr/) et de la CAMERUP (Philippe Sayer, président de la coordination regroupant 5 associations et mouvements d’entraide : Alcool Ecoute Joie et Santé, Fédération Nationale des amis de la Santé, Vie libre, Entraid’addict, La Croix Bleue ; https://www.camerup.fr/) pour différentes raisons :
– leur visibilité et représentativité sur le territoire français,
– leur diversité en termes de philosophie, d’organisation et de population,
– l’implication historique de la CAMERUP dans le groupe Alcool de l’Inserm,
– les liens préexistants entre la CAMERUP et les chercheurs impliqués dans ce projet qui avaient été conviés à des journées thématiques organisées par l’association,
– la parfaite adéquation de ces populations avec les objectifs de notre projet, puisque ces associations regroupent des patients abstinents de longue durée.
Ces deux associations ont d’ores et déjà donné leur accord pour participer activement à cette étude.